Il y a peu de temps est sorti le film « Coco », réalisé par Gad Elmaleh d’après un de ses excellent sketches. Presse unanime: c’est de la merde. Alors forcément, comme beaucoup d’autres comiques avant lui, Gad y est allé de son coup de gueule perso: « Dire que la presse n’atteint pas l’artiste, c’est des conneries. On lit des choses sur le travail qu’on a fait pendant trois ans, forcément qu’on est touché. En revanche, quand le public est là, les critiques s’annulent d’elles-mêmes. C’est presque une tradition: les comédies populaires marchent avec le public et se font flinguer par la presse. On le sait que la comédie populaire ne sera jamais plébiscitée, encouragée, portée par la presse ». Wahouh, il s’est lâché. Sauf que, malgré ses plus de deux millions d’entrées, le film est clairement un bide populaire: les critiques spectateurs sur allociné sont aussi unanimes que celles de la presse, certains quittent la salle avant la fin, bref tout le monde gueule. On n’avait pas vu ça depuis le film « Rrrr… », c’est dire. Et on se rappelle tous (ou pas, et tant mieux) de ce film mémorable de nullité qu’était « La Tour Montparnasse Infernale », avec Eric et Ramzy, qui heureusement n’a pas aussi bien marché il me semble.
Mais le film rapporte de l’argent, c’est tout ce qui compte aujourd’hui, parce que Gad Elmaleh est un des meilleurs comiques français aujourd’hui (pour moi le meilleur), qu’il est célèbre et aimé. Lui, enfermé dans sa bulle-célébrité, ne regarde que les chiffres. Si les gens payaient à la sortie du film il en serait tout autrement. De plus, contrairement à ce qu’il dit, toutes les comédies populaires ne se font pas critiquées par la presse, seulement les mauvaises.
Il y a quelques semaines c’est Dany Boon qui se prenait pour un génie incompris: sous prétexte que son film, certes drôle et bien écrit, est un succès historique en France, il était près à bouder la cérémonie des Césars, son film n’ayant récolté qu’une seule nomination. « Il faut savoir reconnaître le succès d’un film », « Par respect pour le public je m’attendais à ce que le film soit bien représenté », etc. Mais depuis quand succès commercial veut forcément dire réussite artistique? En fait, beaucoup de grand artistes ne furent célèbres qu’à la fin de leur vie, voire même après leur mort, et Van Gogh n’est pas le seul exemple. Pour une simple raison, c’est que la plupart des gens n’ont aucune vraie connaissance artistique, et surtout aujourd’hui, aucune connaissance cinématographique.
La logique de Dany Boon serait de considérer comme réussite artistique un succès publique. Mais alors, pourquoi le Guide Michelin n’attribuerait-il pas trois étoiles à McDonald’s? Et pourquoi ne pas non plus faire valider les découvertes scientifiques par un référendum? Où va-t-on, où plutôt où en sommes nous aujourd’hui? Et bien en plein populisme stupide, où le Public, avec une majuscule (concept cher à Frank Dubosc), est une sorte d’être indépendant et omniscient, seul détenteur de la Vérité de l’art. Faire croire aux gens qu’ils comprennent le cinéma parce qu’ils regardent la télévision et vont au cinéma le dimanche, où téléchargent des films dans une mauvaise qualité pour les voir sur un écran d’ordinateur une assiette de pâtes sur les genoux, c’est intolérable. Et faux. Contrairement à la majorité, les critiques ou amateurs de cinéma ont pris le temps d’étudier le cinéma en regardant des centaines de classiques, en les comprenant, en lisant des ouvrages spécialisés. Ca ne veut pas dire qu’ils détiennent la vérité, tous les critiques ne sont pas bons, et tous n’ont pas des avis convergents. Seulement qu’ils ont la connaissance nécessaire à la compréhension du médium artistique qu’est le cinéma. Que n’a pas vraiment ce fameux Public, malgré ce qu’il pense. S’endormir devant son téléviseur ne veut pas dire que l’on est capable de donner un avis argumenté sur un film, tout comme se gaver de pizzas ne fait pas un gourmet. Mais ce Public croit tout de même que passer des heures devant TF1 ou regarder des films abrutissants (ou « divertissants ») donne le droit de vomir sur des films qu’il ne comprend pas. Et cette confiance est en partie due à ces faux cinéastes avec leurs déclarations stupides genre « C’est le public qui nous fait vivre ». Ce même public n’oserait jamais sortir du Louvre en se permettant de critiquer ouvertement des oeuvres considérées comme pièces maîtresses de l’histoire de l’art après avoir passé des heures à regarder du coin de l’oeil des centaines tableaux parce que ça fait parti du circuit touristiques parisien. Non, le touriste lambda sortira les jambes en compote, heureux d’en avoir fini et lancera un « Ah, oui, c’était bien. Bon, on va boire un verre? ».
Mais bizarrement, ce même individu y va parfois de ses critiques sans queue ni tête qui font bien, qui sonnent professionnelles: « Les acteurs étaient mauvais », « C’était vraiment mal réalisé », « L’histoire était nulle », et la meilleur de toutes les critiques du spectateur moyen: « C’était chiant ». Le jour où les journalistes des Cahiers du Cinéma se contenteront de telles critiques sonnera la mort de la presse cinématographique. Et la mort du cinéma, par la même occasion.
Alors messieurs les comiques, continuez à faire rire mais arrêtez s’il-vous-plaît de vouloir porter de multiples casquettes en faisant quelque chose pour lequel vous n’avez aucun talent, ou alors garder ça pour vos loisirs. Après tout si demain Arnaud Desplechin ou Jean-Pierre Jeunet se mettent à faire les zouaves sur scène, le bide serait sûrement au rendez-vous.
Et toi, Public qui prend le temps d’aller voir un film dans une vraie salle de cinéma, prend aussi le temps de comprendre ce que tu as vu avant de t’émerveiller ou de critiquer. Regarde quelques classiques, ouvre un livre sur le cinéma de temps en temps. Et surtout, suis la bien précieuse règle qu’est: « Ne jamais rien attendre en entrant dans une salle obscure ».
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